Aleksander Ceferin (photo en une du site) rêve de rendre le football européen plus équitable qu’il ne l’est devenu aujourd’hui. Le président de l’UEFA aimerait instaurer un salary cap, à l’instar des ligues nord-américaines. Mais, est-ce vraiment possible dans l’écosystème continental ?

Plafonner les salaires des footballeurs, « dignes d’une autre planète » ? Cette mesure de régulation, appliquée par de nombreuses ligues aux États-Unis, aurait pu séduire l’Europe du foot après une crise sanitaire qui a laissé les clubs exsangues, mais ses opposants restent majoritaires…

Privés de recettes pendant l’arrêt des compétitions, les clubs ont traîné comme un boulet une masse salariale très lourde, dévoilant la fragilité d’un système exposé aux secousses externes.

Face à ce constat, le monde du ballon rond se divise en deux catégories : ceux qui militent pour une meilleure régulation et ceux qui s’en remettent à la loi du marché.

Pour instaurer un salary cap, l’UEFA devrait en tout cas le rendre conforme au droit de l’Union européenne et applicable par le Royaume-Uni, où se trouvent plusieurs des clubs les plus riches d’Europe. Et convaincre les sceptiques.

L’imposer c’est aller contre la démocratie, contre le capitalisme. Ça ne serait pas très sérieux, lâche le propriétaire d’un club français.

Plafonner la masse salariale peut conduire à une forte inflation du prix des transferts, ainsi qu’une montée des inégalités salariales au sein des clubs qui serviraient  d’abord leurs joueurs vedettes avant les autres, explique justement l’économiste M. Lepetit.

D’autre part, on peut aussi se questionner sur les autres parties intéressées par les salaires des joueurs de football professionnels, et notamment l’État par l’intermédiaire de la fiscalisation. Les joueurs, par le biais de l’impôt sur le revenu, et les clubs, par le paiement de cotisations sociales, salariales et patronales versent d’importantes sommes à l’administration fiscale. Ainsi, un dossier du journal l’Equipe de 2019 consacré aux salaires des joueurs de football* évaluait ces sommes à hauteur de 565 millions d’euros par an.

Par conséquent, une limitation des salaires par un plafonnement conduirait obligatoirement à une diminution des sommes versées à l’administration fiscale.

À Bordeaux, Bruno Fievet l’un des potentiels futurs repreneurs du club se prononce pour et nous explique pourquoi :

« Oui, pour nous, c’est un objectif très clair. C’est ce qui va vous donner la direction pour maitriser la masse salariale, maitriser le nombre de contrats. Aujourd’hui, il y a beaucoup trop de joueurs sous contrat aux Girondins, avec une flopée de joueurs qui ne joueront jamais en Ligue 1, mais qui sont sous contrat parce que sous l’ère GACP on a dit qu’il fallait faire du trading de joueurs. Mais le trading, on le sait, ça ne marche pas, et ça ne marchera jamais. Ca ne permet que d’enrichir les agents, et pas d’enrichir les clubs. Il faut arrêter avec cette vision courtermiste de dire qu’on va former des joueurs pour les vendre. Il faut arrêter d’acheter plein de joueurs moyens pour essayer de faire d’eux des chevaux de course, ça ce n’est pas possible. En plus, quand vous faites ça, vous bouchez complètement l’avenir de votre propre jeunesse, parce qu’ils voient bien qu’-au-dessus d’eux il y a déjà 40 contrats professionnels, et qu’ils n’auront pas leur chance. Du coup, aucune chance qu’ils s’identifient aux Girondins et qu’ils aient envie de rester au club. C’est une idéologie qui est meurtrière pour les clubs de foot. On doit revenir à un nombre de joueurs limité, une trentaine environ, à voir avec les besoins de l’entraineur et en fonction des jeunes qui peuvent monter ou non. Il est bien évident qu’il faudra compléter les effectifs avec des jeunes à un moment donné dans la saison, et les pousser. L’objectif est évidemment d’utiliser la formation, ce qui a été bien fait cette année. On peut reprocher des choses à Jean-Louis Gasset, mais on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir lancé bon nombre de jeunes. Et quelque part, ce sont les jeunes qui nous sauvent sur cette fin de saison. Pour revenir au salary cap, il y aurait quatre classes. D’abord, les stars : zéro, une, ou deux. Aujourd’hui aux Girondins on en a deux, Laurent Koscielny et Hatem Ben Arfa. Est-ce qu’ils ont assumé leur statut de star ?! Oui, non, chacun jugera. Ensuite, on a les titulaires : des joueurs comme Ben Costil, Youssouf Sabaly, Otávio, Pablo avant qu’il parte, Hwang Ui-Jo devant. Eux, on doit leur mettre un salary cap plus bas que les stars, et qui soit acceptable. Aujourd’hui, certains de ces joueurs ont des salaires à 160-180000€, et c’est inacceptable pour un club comme Bordeaux. On doit revenir pour les titulaires à un salary cap acceptable. Ensuite, il y a les joueurs de la rotation, ceux qui jouent régulièrement mais qui ne sont pas annoncés comme des titulaires : Rémi Oudin, Nicolas De Préville… Aujourd’hui, ces joueurs de rotation sont payés comme des titulaires, voire même comme des stars. On a un vrai problème. Et enfin, il y a les jeunes, qui doivent avoir un salaire de jeunes. Ce qui est intéressant là-dedans, c’est que vous savez ce que vous devez faire pour aller chercher le salaire au-dessus. Si vous êtes un jeune, vous devez rentrer dans la rotation pour avoir le droit à un salaire de tant par an. Si vous êtes dans la rotation, et que vous voulez avoir un salaire de titulaire, il faut devenir titulaire. C’est un cercle vertueux. Et le gros avantage de ça c’est que quand vous commencez à discuter avec un joueur dans la période de transferts, s’il vous dit ‘je veux bien venir aux Girondins mais je veux 200000€’, eh bien on le raye, et on passe à un autre joueur. On ne passe pas du temps à faire venir un joueur qui ne rentre pas dans les limites qu’on a fixées. Ca a un effet positif parce que d’abord vous ne perdez pas de temps, ensuite vous ne créez pas de problème dans un vestiaire, et puis le jour où vous voulez vous séparer d’un joueur… Lorsque vous avez un joueur qui touche 200000€ par mois, c’est quasiment impossible car il sait très bien qu’il ne retrouvera pas ça ailleurs, donc il va rester jusqu’à la fin de son contrat. Il sera non seulement une charge financière, mais aussi un boulet que va trainer le coach parce qu’il aura un joueur pas forcément motivé, qui fait la gueule, qui coûte cher. C’est ce qui s’est passé entre autres à l’après titre, mais également dans un passé plus récent avec Nicolas De Préville. Il a été jusqu’au bout de son contrat car il avait un contrat très bon. Je n’en veux même pas au joueur, on lui a donné ce salaire-là à un moment, il l’a pris. Mais un Nicolas De Préville qui aurait eu un salaire beaucoup plus bas, il aurait saisi une opportunité de partir à l’intersaison s’il avait vu qu’il n’avait pas de chance d’être titulaire. C’est pour ça que le salary cap est hyper important. Il va vous permettre de gérer votre vestiaire. Aujourd’hui, si les Girondins ne vont pas bien, c’est aussi parce que le vestiaire a explosé. Ce n’est pas qu’un problème d’entraineur, ou de management au niveau supérieur. Le vestiaire a aussi explosé pour des raisons financières entre les joueurs. »

Les joueurs évoluent aujourd’hui dans un système internationalisé. Considérer uniquement le modèle français comme un vase clos semble être une vision totalement erronée…

Alors, quand pensez-vous chers collègues ? Pour ou contre le salary cap ?

chimère Sodapop